Les sangliers
J’avais toujours cru que les sangliers, c’était des histoires. J’en ai jamais vu dans la forêt, alors pourquoi ils existeraient. C’est comme les loups les sangliers. Ca fait peur mais c’est dans l’imaginaire. Y’en avait juste dans les parcs et sur les dessins de Michel notre voisin : quand j’entrais dans sa maison, j’étais au milieu de la forêt et des bêtes, y’avait que ça sur les murs.
Jusqu’au jour où mon père m’a raconté ce qui suit :
Pendant la guerre alors qu’il aidait son père aux diverses tâches de la ferme et préparait la finalisation de son futur atelier, les allemands vinrent en lui annonçant qu’il avait gagné un séjour à l’île d’Oléron tous frais payés avec en prime sa participation à l’élaboration d’un monument historique, le mur de l’Atlantique. Ah non, vous n’avez pas compris, il n’allait pas faire un film avec Bourvil, c’eut été trop drôle, non, il devait participer à la construction des fameux Blockhaus. C’est une habitude dans l’histoire, de tous temps les gouvernements construisent des murs, des murs et encore des murs…. Comme si les murs réglaient les problèmes….
Pas franchement enchanté, mon père, se consolant tout d’abord à l’idée de découvrir la mer et ses plaisirs, déchanta rapidement devant les longues journées harassantes et la nature du travail.
Les allemands n’étaient pas franchement désagréables avec lui mais c’était somme toute des occupants et ça commençait à sentir le roussi près des côtes. N’entendait-on pas les rumeurs d’un débarquement, et puis ces fumées noires à l’horizon ? Un beau jour, mon père eut une permission. Quelle aubaine pour s’enfuir ! En y réfléchissant bien, ne pas revenir c’était sanctionner les copains. Étant de nature sentimental, il échafauda un autre plan et mit à profit sa permission pour fabriquer une deuxième permission qui lui permettrait de s’évader. Ça sert à tout le bricolage et le corrector bille….
Après ses quelques jours de liberté, il revint donc dans son camp. Puis, grâce à un sympathique maraîcher résistant qui lui avait filé une blouse de maraîcher normal, il refit le sens inverse de son parcours, reprit le bateau, une fois débarqué retira sa blouse, prit le bus, le train, puis revint dans son cher pays natal. Sa fausse permission lui permit tout simplement de passer les contrôles multiples liés à l’occupation.
Mais voilà, l’ennemi n’avait guère le sens de l’humour. Il n’avait pas apprécié la farce et voulait le lui faire savoir. Il devait se cacher. Il y avait bien la grange dans laquelle il avait creusé des galeries entre les bottes de paille mais ce n’était pas suffisant. Les allemands étaient des gens curieux. Quoi de mieux que les bois pour bâtir son nid, au milieu des arbres et des animaux. C’est au fond de la profonde forêt dans un lieu appelé Plaisance qu’il construisit son refuge : une cache en rondins et en feuillage au milieu d’une tranchée laissée par la précédente guerre , celle de 14-18 (pour une fois que ça sert une guerre).
Quand un jour je lui demandais s’il n’avait pas eu froid, il me répondit : « ben non, dans la forêt y’a du bois pour se chauffer, j’avais un lit c’était confortable ». Alors, je lui dis : « mais t’as pas eu faim ». « Non me répondit t’il » mes copains posaient des collets et je mangeais du sanglier tous les jours, y’avait plus de chasseurs, c’était interdit et qu’est ce qu’il y en avait des sangliers. Y’avait des sangliers et des chevreuils en pagaille. Un soir de nouvel an, on a du en retirer des collets. On pouvait pas tout manger. »
Évidemment, presque tout le village savait qu’il était là, mais voyez vous les gens en Argonne, ils causent pas beaucoup, surtout aux étrangers (ce sont sûrement des descendants du fier village d’Astérix et Obélix), et dans ces moments la, c’est drôlement bien. Les gaulois donc lui filaient des tickets de rationnement et de la nourriture, la police menait de fausses enquêtes pour les romains… Je m’égare…. nous sommes en Argonne…. Ce n’était pas tous les jours aussi sympa, malheureusement. C’était la guerre quand même et parfois, il y eut des rafles à l’issue dramatique telle celle de ce résistant qui émettait sur les ondes et qui fut déporté, il en mourut. Mon père était au milieu des maquisards mais à ce moment là, il ne le savait pas.
R3. mon père était entouré de deux anges gardiens eux aussi appelés R1 et R2. Les 3 R. formaient une sacrée équipe. 2 d’entre eux fricotaient avec les allemands et se tenaient ainsi au courant de toutes les nouvelles. Puis ils en informaient illico presto leurs copains. C’est comme ça que mon père échappa aux rafles. Tiens par exemple, un jour les allemands eurent envie d’aller à la chasse. Comme s’ils ne tiraient pas assez dans la vraie vie… Les quatre oreilles prirent en main l’affaire et s’arrangèrent pour que la chasse ne passe pas sur le terrain privé de leur pote R3. Quoi de mieux pour les étrangers qu’un guide local. Tout le monde est gagnant !
Dans ces moments la, il faut survivre. Ensemble les 3R avaient monté une distillerie clandestine du nom de Fort Chabrol (Peut-être un clin d’œil à l’histoire). Les 2 R amenaient du jus de pommes (ça manque pas les pommes dans mon village) qu’ils avaient au préalable fait fermenter dans de grandes cuves clandestines en béton à R n°3 et ce dernier distillait avec son alambic qu’il avait fabriqué de façon artisanale. Les 2 R. écoulaient la marchandise à l’ennemi. C’était mieux, croyez moi, car figurez vous qu’un jour mon père me confia un sourire au coin des lèvres : « Qu’est ce qu’elle était mauvaise la gnôle, on distillait avec du fer, pas avec du cuivre, ils ont eu de la chance les allemands…. »
Tout ça, ça a une fin et c’est beaucoup mieux comme ça. Le débarquement annoncé arriva mais pas là ou on l’attendait. Mon père s’engagea mais n’eut pas à combattre car l’ennemi fuyait. Toute sa classe avait été exemptée mais lui, suite à son engagement dût rester 14 mois et c’est dans un arsenal qu’il finit son service militaire. Ce qu’il retint, ce ne fut pas le goût des armes; non c’était les techniques du bricolage. Je vous en ai déjà parlé je crois….
Bien plus tard, il y eut un parc à sanglier pas loin de là ou j’habitais. Tous les ans nous allions les voir. Il fallait prendre un long chemin à travers la forêt et c’était un vrai plaisir. Ils étaient en semi-liberté. Et puis un jour, le parc a fermé. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus mais je les ai beaucoup regrettés. J’ai bien essayé de faire des photos de leurs cousins les phacochères en Afrique. Mais pas de chance, soit l’appareil photo était en panne soit ils se sauvaient. Peut-être qu’ils connaissaient cette histoire ! En tout cas y’aura pas de recette de sanglier mais peut-être qu’un jour… Par contre avec les pommes et la gnôle, je peux faire quelque chose…
Suite sur le prochain billet…….
PS : Attention aux tiques dans la forêt !!!!!!!!!! Ce sont vraiment de vilaines bêtes.